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Precious
On met la couche en tissu sur la balance, on tare, la maman pose son enfant sur le pèse-bébé blanc.
C’est le moment que choisit mon téléphone pour sonner.
Pour lui, ce qui m’embête encore plus, c’est qu’il n’a rien mangé, rien bu, depuis son arrivée dans le service il y a deux jours.
Je m’inquiète. Je vais chercher de l’eau. Un peu. Je demande du lait aux infirmières. Elles n’ont plus rien à prêter, mais elles appellent un laboratoire qui leur donne souvent une ou deux boites. Le labo va passer.
On trouve une place avec oxygène. On met les lunettes à l’enfant et l’oxygénothérapie au maximum – 5 litres. Entre temps, cet idiot s’est arrêté de respirer. On trouve un ambu/ballon/masque adapté. On fait des prescriptions : de quoi mettre une voie veineuse, de quoi réhydrater, ce sera déjà pas mal.
C’est une collègue qui m’a tiré par la manche de la blouse avant que je devienne insultante.
Je suis allée relayer mon autre collègue à la ventilation. Comme il n’y avait pas beaucoup de place à la tête de l’enfant, entre le médecin, l’infirmière et la stagiaire, on m’a demandé de contourner tout ce monde et de venir sur le lit. C’est donc à genou sur le matelas moyennement stable de ce lit de « réa », le masque et la mandibule dans une main, le ballon dans l’autre, que je me suis retrouvée face à la chef de réa, venue voir d’où provenait toute cette agitation dans son service. Et c’est là que mon téléphone a décidé de sonner une seconde fois, comme pour me rappeler que quand même, les résultats des ECN, c’était vachement important aussi.
Reprise d’une ventilation spontanée.
Comment vous décrire le bruit de galop que j’ai entendu ce jour là ? Je n’avais jamais entendu ça, mais quand il arrive à vos oreilles, il n’y a aucun moyen de vous tromper.
Bon, ben c’était pas génial, mais c’était pas si mal, comparé à mon impression au sortir des épreuves.
Cet article, publié dans Africa, Med'scene, est tagué Afrique, malnutrition, pauvreté, pédiatrie, Stage. Ajoutez ce permalien à vos favoris.
Ce matin, je me suis levée ronchon parce je n’ai pas bien dormi.
Tu rends compte, j’ai MAAAL dormi, je ne vais pas être en forme aujourd’hui… que j’ai dit à mon homme!!!
Quelle honte d’égocentrisme!
Un petit post qui m’a bien remis les pendules à l’heure.
Tendresses pour Precious et bonne continuation à vous!
tout commentaire serait superflu à ton récit
sauf peut être :bravo pour les résultats'(quand même ) et la pédiatrie où tu vas être super(investie crevée impliquée fatiguée mais heureuse c’est tout le mal que je te souhaite )
ça m’a aussi rappelé
ça :
Le récit est très bien fait, on était avec toi en direct au chevet de ce petit garçon…
Bravo pour les résultats et je guette dans mon service de pédia si je te vois arriver ou pas… ;-)
ton récit ma rappelé tellement de choses! et la notion de relativité importante en médecine et dans la vie surtout! mais Tu as de quoi etre contente pour ton classement! FELICITATIONS!!!
J’ai eu l’occasion de lire « les instincts maternels » de Sarah Blaffer Hrdy
J’y ai tout de suite repensé en lisant l’histoire de Precious
Je précise tout de suite : je n’y ai pas lu d’explications toute faite pour te sortir une énième hypothèse sur les relations de Precious et sa mère
Mais ce livre parle de tout ça, les grossesses, les naissances, la suite… ce pour quoi on est « programmé », « prédisposé », tout ce qui marche et tout ce qui peut coincer entre un bébé et ceux qui vont lui permettre de vivre et de survivre. Le pluriel aux instincts n’est pas là pour rien et l’auteure est loin de mettre les gens dans des cases
Je me dis que cette lecture pourrait bien te plaire, surtout après ce que tu sembles avoir vécu qui a du te donner d’autres aperçus des relations parents-enfants que ce qu’on peut voir dans nos « petites » vies, même si je me doute que la pratique de la pédiatrie en France t’as déjà permis d’en voir des vertes mais aussi des bien mûres :o)
5kgs 990, c’est à peine plus que le dernier loulou de 2 mois que j’ai eu en consult’ systématique, qui est séronégatif et bien nourri, lui…..
Tiens j’ai une question bête : comment ça se passe pour le financement du séjour dans le lit d’hôpital là-bas? les gens payent aussi? parce que si cette maman n’a pas de quoi nourrir son enfant…. pour l’hosto elle fait comment?
C’est atroce, ça me paraît insoluble ton histoire, ce petit bout de chou s’en est sorti après un premier malaise hypo profond, mais comme tu dis, « pour cette fois », et pour combien de temps…. jusqu’au jour où il refera pareil hors de l’hôpital? où est la solution? je ne sais pas. Ce que tu racontes ici me semble bien faire écho à ton post précédent : on ne change pas le monde, mais on le regarde avec des yeux grands ouverts.
A part ça, car cela concerne tout de même ton futur de jeune médecin, félicitations pour les ECN. Oui c’est un concours à la con, oui ça paraît loin quand on est auprès du petit Precious, mais on gagne une chouette interne en pédiatrie!!
Gélule : bien sûr, ce sont les patients qui payent l’hospitalisation. Mais on avait la chance d’être dans une structure à petite vocation « sociale », donc :
– Les frais étaient très bas par rapport à d’autres structures : 13 500 francs CFA pour 10 jours d’hospitalisation (environ 20 euros).
– Et prise en charge de quelques « indigents » pour qui l’hospitalisation et quelques médicaments/examens étaient offerts par la structure.
Pas grand chose, mais ça laissait un peu d’espoir quand même :)
Pour tout le monde :
Precious est décédé environ un mois après.
Je ne voulais pas le dire, garder un peu l’illusion, mais je n’ai pas tenu longtemps.
J’étais dans un autre service. Il allait mieux, il se tenait assis, il tenait sa tasse à deux mains pour boire son lait. Il s’est chopé une infection nosocomiale, ou un palu qui passait, on ne sait pas vraiment. Il a fait une anémie sévère.
Un médecin des urgences est allé le voir une nuit et l’a transfusé à 25cc/kg.
Ce qui est beaucoup trop pour un malnutri.
Il lui aurait fallu 10cc/kg grand maximum.
Il a fait une insuffisance cardiaque du tonnerre, avec une dyspnée qui faisait mal à voir. On lui a couru après avec du lasilix pendant presque 48h, mais cette fois, y’avait pas de place en réa, donc pas d’oxygène, pas de surveillance rapprochée, et pas de soins adaptés.
Le plus terrible dans cette histoire, ce n’est pas l’erreur initiale du médecin dans la transfusion. C’était peut-être une erreur, au départ, de le garder hospitalisé si longtemps.
Le pire, c’est de ne pouvoir rien faire quand un enfant s’étouffe sous vos yeux. Rien.
Ça, ça va encore me rendre triste un bon moment.
Enfin, faut pas que je vous fasse pleurer tout de suite, j’ai encore quelques autres histoires à vous raconter !
En te lisant, je me disais que ce serait formidable si tous les médecins passaient par l’expérience d’humanité profonde que tu as vécu cet été.
Vivre ça, ça doit vous donner une certaine densité, d’un coup.
…
Bravo pour ton concours. Féloches et confettis.
Histoire tellement triste et révoltante, des Precious il doit en avoir tellement dans le monde mais la majorité des gens s’en fichent…
En partageant son histoire tu changes bien un peu bout de monde, tu participes à faire prendre conscience du problème…
En tout cas continue ! Tu viens de remotiver une petite P1 idéaliste qui va travailler pour un jour elle aussi aider les autres
C’est terrible.
Ca pose terriblement la question de la valeur de la vie.
Paix à son âme.
Coucou Marie Où étais-tu ? Et où es-tu aujourd’hui ? Je suis désolée mais avec problèmes je n’ai pas tout suivi. Et pourtant tu as toujours une place dans mon coeur et au Mesnil. Tu viens quand tu veux !
Je savais que tu réussirais, bravo pour ton parcours.
Bises
Nicole T.
Mistinguette > C’est effectivement une expérience formidable, mais tu sais, tous les médecins ne veulent pas forcément vivre ce genre de chose, et tous n’en tireraient pas forcément profit.
Comme le fait d’aller en Afrique, par exemple : j’ai vu des collègues, étudiants en médecine ou dans d’autres branches de la santé, devenir de véritables connards, là bas ou à leur retour en France !
Je ne me l’explique pas tout à fait, mais je le prend comme un avertissement : vivre ce genre de situation ne fait pas automatiquement de nous de « bons médecins » et encore moins « quelqu’un de bien ».
BubbleT > Contente de pouvoir être une source de motivation :) Et surtout, même si ça ne se passe pas comme tu voudrais à la fin de l’année, ne déprime pas : il y a un milliard de façon d’aider les autres. Si je n’avais pas pu être médecin, je crois qu’il y aurait bien trois ou quatre métiers qui auraient pu me correspondre aussi bien !
Laurence B > C’est ça…
Nicole > Merci beaucoup :) (et en privé, pour les infos privées, du coup ;-) )
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