Palpation artistique

Je suis en fin de deuxième 4e année de médecine, et je ne sais pas examiner un patient.
C’est peut-être de ma faute, mais je n’ai jamais vraiment appris.
J’ai vu beaucoup de choses, des tas de plaies de toutes les tailles et de toutes les couleurs, des tas de blocs opératoires différents, de jolis ECG et de jolies radios. J’ai consolé des patients avec des stomies, pris la main d’un sclérodermique, parlé avec un Klinefelter, soutenu un monsieur atteint d’une granulomatose de Wegener. J’ai fait des gaz du sang, une ponction d’ascite, aidé pour une ponction sternale et branché des dizaines de machines d’hémodialyse.
Surtout, surtout, j’ai assisté à d’interminables staffs, et j’ai lu des tas de dossiers.
Tellement bien que j’ai fini par préférer ça : regarder dans les dossiers.
C’est pas du jeu, mais c’est plus facile, de savoir quelle maladie sera désignée par un « j’ai le cœur fragile vous savez ».
Une patiente me disait un jour « Comme opération ? Ben on m’a fait la totale ! » Heu… je dois savoir instinctivement, infusément même, qu’il s’agit d’une hystérectomie élargie, moi ?
Bref, je ne sais pas arriver, interroger, inspecter, ausculter, palper et percuter comme il faut, non.
J’ai bien essayé pourtant ! J’ai tenté ma chance, l’air assuré sous ma blouse, « Bonjour monsieur comment allez-vous ? Qu’est-ce qui vous amène ? » Et vas-y que je t’interroge… et que je m’embrouille dans les questions, et dans les réponses, et à quelle date vous m’avez dit déjà ? Et quel traitement au fait ?
Et puis je me lance : les oreilles bien arrimées au stétho. Une main pour retenir les branches qui vrillent tout le temps, les saletés. L’autre main pour tenir mes lunettes et la troisième pour déplacer la membrane sur les poumons ou sur le cœur et me rendre compte que zut, c’était mal tourné, en position « vaisseaux », exprès pour m’embêter, je suis sûre.
Et la Palpation, alors ? Déjà, j’ai les mains froides. Tout le temps. J’ai eu beau étudier la physiopathologie du syndrome de Raynaud, ça n’a jamais fait revenir le sang dans mes extrémités. Donc je préviens, mais ça ne suffit jamais. Après, forcément, ils sont toujours contractés. Ou alors c’est des chochottes qui se raidissent quand j’appuie, je sais pas.
Toujours est-il que j’ai marqué une fois, sur mon observation : « Défense au flanc droit », un jour où j’étais à peu près sûr de mon coup… et le chef de clinique, derrière, repasse et me jette un « Mais où t’as vu une défense toi ? Pffff… » qui a eu le don de pulvériser en moins de deux mes quelques grammes de confiance en moi.
Alors les adénopathies, ou les pouls distaux, hein, n’en parlons pas. Soit je ne sais pas les trouver, soit les cœurs de tous mes patients se sont systématiquement arrêtés de battre quand je les cherchais. Ca doit être l’intensité de mon charme qui les sidère, autrement je vois pas.
Bon, à ce stade, vous aurez compris que la Percussion, même sur une vessie énorme et toute dilatée, ça reste encore obscur et hors de portée. Le globe vésical, connais pas. Voilà.
J’en vois déjà qui pâlissent dans l’assistance « Mon Dieu je veux pas avoir à faire à elle un jour ! ». J’ai encore le temps d’apprendre, rassurez-vous. Mais j’ai un peu peur. Parce que si je n’ai pas appris jusque là, c’est peut-être qu’on était très nombreux, en stage, et que j’ai jamais su réclamer avec assez d’insistance l’attention d’un interne ou d’un chef sur mon examen approximatif.
Dans d’autres services, c’est plus simple encore : les internes font les observations eux-mêmes. L’après-midi, quand le patient arrive mais qu’on est pas là. Comme ça, le lendemain matin, l’externe n’a plus qu’à ranger la paperasse et à trier le dossier, ça va plus vite. L’externe est ravi…
Alors, approximation pour approximation, j’irai entraîner mes petits doigts quand je serai en stage aux urgences et que là, effectivement, on fait confiance à l’externe pour gérer ses patients. De toute façon, j’veux pas dire, mais s’ils sont aux urgences d’un CHU, les gens, c’est qu’ils aiment prendre des risques. Déjà, le campement de gitans sur le parking aurait du les effrayer, mais non, ils sont entrés quand même, pour confier leur petit doigt ou leur grosse intoxication à l’externe malhabile.
En attendant ce jour, je bosse mes cours en espérant que la théorie rattrape un peu mon manque de pratique. Et j’attends avec impatience et appréhension la reprise des stages !

A propos openblueeyes

Apprentie docteur en pédiatrie.
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3 commentaires pour Palpation artistique

  1. Ping : Choix de stage | Openblueeyes

  2. openblueeyes dit :

    Et voici les commentaires initialement laissés sur canalblog :

    1. bonne révision !
    – Posté par Virginie.dr, 21 mai 2008 à 13:36

    2. Et bien moi, je pense que :
    1/ la qualité d’un médecin va avec son manque de certitude : ne jamais foncer tête baissée vers le diagnostique évident, mais s’intéresser à la personne en tant que telle, quitte à paraître hésitant, à revenir sur ses idées, à demander des précisions… être en recherche, quoi !
    2/ l’expérience vient au fil du temps : l’acquérir nécessite une certaine patience… voili voilo.
    Et c’est dans tous les métiers pareil (je suis enseignante : mon Dieu, les premiers rendez-vous de parents, ce qu’on se sent jeune et incapable…).
    Bon courage.
    – Posté par mariea, 21 mai 2008 à 15:58

    3. A l’examen physique, je te jure, c’est une question de feeling… Du feeling, vraiment. Je sais, ça peut paraître débile… C’est sans doute parce que j’ai toujours été plus à l’aise et douée devant un patient, à le tritouiller palpouiller ausculter en le faisant rire, qu’à apprendre un bouquin de cours… T’en fais pas, ça va venir :)
    – Posté par Symbiote, 21 mai 2008 à 21:26

    4. L’appréhension du retour en stage… tout ceux qui ont fait un break (voulu ou pas!) connaisse cela. Cette angoisse d’y retourner, de ne plus se souvenir, que ca ne soit pas aussi beau que dans nos « rêves », qu’on est plus envie de faire vraiment ce métier…
    Mais au final on se rend compte que rien n’a changé et que cela fait même beaucoup de bien de retourner à l’hôpital… et que c’est un peu la seule chose qui aide à tenir devant ces piles de bouquins, ces tonnes d’exams à venir, et le dernier d’entre eux, qui est loin d’être le plus simple!
    Je crois que qd on à choisi un jour de faire ce metier, qd on a déjà relevé grand nombre de défi jusque là, comme beaucoup : la reprise des stages… tu vas adorer!
    Quant aux examens cliniques, les interrogatoires de patient… on est tous dans le flou absolu, jusqu’au jour où qqun prendra le temps de nous expliquer, ou celui où on finira par comprendre par nous même… Dommage, ce n’était pas comme ca que j’envisageai ma formation, mais apparemment ca doit se faire comme ca!
    – Posté par Virginie, 21 mai 2008 à 23:09

    5. Patience, t’es encore un bébé docteur, ça va venir !
    Moi je te ferai confiance les yeux fermés si un jour j’ai un problème !
    Je crois en toi, courage pitite Marie !
    – Posté par zou, 22 mai 2008 à 12:58

    6. La première qualité du soignant la modestie, la deuxième la capacité de demander « à ceux qui savent ». On comprend après qq années que la candeur peut créer un grand appel de confiance chez le patient ! Courage !
    Un même-pas-médecin
    – Posté par Rodrigue, 22 mai 2008 à 15:07

    7. Oooooh, la vache, on dirait moi :-D
    – Posté par Rrr, 22 mai 2008 à 20:24

    8. Pub !
    Au fait, Marie, tu es dans le quotidien du médecin : http://www.atoute.org/n/forum/showthread.php?t=82511
    – Posté par Rrr, 23 mai 2008 à 11:58

    9. Zut, non, dans la revue du prat….
    – Posté par Rrr, 23 mai 2008 à 12:01

    10. Merci ;-)
    @Viki : toi, prépare-toi à signer des papiers de droit à l’image, je vais vouloir ta jade en photo ici dès lundi soir (ou pas loin) ;-)
    @Mariea : votre blog est sympathique comme tout, j’ai bien rigolé aux super-matozoïdes !
    @C’est vrai que se sentir jeune et incapable, il vaut mieux que ça soit maintenant… Mais du haut de mes 5 années d’études, quand même, des fois, qu’est-ce que je me sens crétine… !
    @Symbiote : il y a des gens comme toi qui m’impressionnent par ce feeling, justement. Je dois pas être à l’aise avec les papouilles… c’est peut-être liée à ma maladresse maladive, tu crois pas ? J’accumule les gags, les embrouillages dans les fils d’ECG, les stylos qui tombent et s’éparpillent aux quatre coins de la chambre dès que j’ai le malheur de me pencher… Après, forcément, je suis un peu trop crispée pour ressentir le feeling !
    @Virge : tout ce que tu dis me parle… C’est fou comme finalement, cette formation ne ressemble à rien de ce qu’on avait pu imaginer… Tant pis, on finit par apprendre quand même, et on aime ça :-)
    @Zou : Bébé docteur a l’impression d’avoir le QI d’une huitre en ce moment, mais promis je vais faire des efforts pour que tu aies raison de me faire confiance plus tard !
    @Rodrigue : Merci :-)
    @Rrr : Ouah, déjà la célébrité, merveilleux ! Enfin, c’est pas moi dont la manière de bailler les narine écartées se retrouve dans le picsou-magazine des médecins gé… Dommage :-p
    – Posté par Marie, 23 mai 2008 à 13:59

    11. Mais, Symbiote, ta maladresse et ta gaucherie qui te semblent être un si grand handicap sont finalement souvent un « atout » auprès des patients. Je ne te parle pas des « cons » qui s’amusent gentiment à te faire perdre tes moyens parce qu’ « ils ont l’habitude d’être soignés par les plus grands », mais de ceux (la majorité, quand même…) qui te font un sourire et pour qui ta gentillesse, ton regard empathique et tes gestes spontanés, rassurants, enveloppants, représentent déjà la première partie des soins. Ce n’est pas nous qui mettons encore le nom compliqué sur leur grande maladie. Mais même en faisant tomber tes électrodes, les trois stylos qui remplissent ta poche, et tout le bric à brac qui peut se loger là-dedans (parce que les poches d’un externe sont une succursale d’une bibliothèque universitaire)… Ferme les yeux 2s en prenant une grande inspiration. Le bruit environnant cesse, ton cerveau surchargé d’informations stoppe sa course folle… Lorsque tes paupières se relèvent, elles te révèlent un patient, un nouveau, un autre. Tu as laissé « le reste » sur le pas de la chambre.
    Les papouilles comme tu dis ne sont pas innées, très certainement, mais Marie, tu es bien trop sensible, trop empathique, pour ne pas « sentir » un patient. Tu le fais déjà dans ta vie quotidienne…
    – Posté par Symbiote, 26 mai 2008 à 19:41

    12. Cesse de te sous-estimer :)
    – Posté par Symbiote, 26 mai 2008 à 19:42

    13. C’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité mamzelle Symbiote, je me trompe ? ^^
    Ceci-dit, il n’y a plus que des boutades destinées à me renvoyer à mon travail plutôt que sur mon ordinateur, avec le sourire si possible. Même pas de vrai sous-estimage ! J’ai passé le cap des « je suis nuuuuuuuulle » à répétition et en chouinant s’il vous plait ; rien ne me dit que ça ne reviendra pas après ma première demi-journée de stage ou même d’examen, mais pour l’instant, rien de tout cela. donc… je respire :-)
    – Posté par Marie, 27 mai 2008 à 13:16

    13. Ma petite Marie, je suis si contente de te voir heureuse. Je te fais confiance, tu seras un bon médecin car tu sais écouter les gens. Et tu peux me faire confiance : tu connais mes antécédents.
    Tu écris toujours de jolies choses.
    Bises
    PS Ophélie est revenue mais cette fois sur le poumon gauche..
    – Posté par Nicole Tourneur, 04 juin 2008 à 12:53

    14. C’est malin aussi, d’avoir le poumon si confortable, si douillet, un vrai régal pour une araignée…
    Du courage !
    – Posté par Marie, 05 juin 2008 à 12:50

    15. les mains froides et le coeur chaud
    et l’impasse curieuse pour chaque être humain de se découvrir obligée de dépasser un handicap
    et souvent, c’est l’occasion de découvertes inattendues mais formidables
    tu en a dépassées d’autres
    tiens nous au courant, c’est un tel régal de te lire…
    – Posté par tavieille, 05 juin 2008 à 18:20

    16. Un petit truc pour les mains froides, comme pour tout examen abdo d’ailleurs.
    Tu peux en posant la fin de tes questions, en laissant parler la personne que tu examines lui poser, simplement poser la main sur le ventre. Elle continue à t’expliquer sa vie, elle s’habitue au contact de ta main, à sa température, à la manière dont tu vas la toucher.
    ça marche bien aussi pour détendre les petits (même s’ils restent ds les bras de maman), et aussi pour les exams gynéco (mais sans t’attarder…), une petite palpation abdominale pour faire sentir comment tu es, et tu gagnes beaucoup en détente…
    Bon courage, tu as beaucoup de talent !
    – Posté par guillaume, 06 juin 2008 à 22:09

  3. Janine dit :

    I don’t even know what to say, this made things so much earise!

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